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L’Odyssée de la petite Chinoise du Caire

Bruno Auboiron 12 octobre 2022

L’Odyssée de la petite Chinoise du Caire

Pour cette nouvelle chronique littéraire au fil des chemins et des cartes du Monde, je vous invite à découvrir L’Odyssée de la petite Chinoise du Caire, un récit que l’on pourrait qualifier autant de récit de vie que de récit de voyage, un récit écrit avec le cœur par Yitong Shen.

La vie n’est pas un long fleuve tranquille

La vie n’est jamais un long fleuve tranquille, que ce soit le Yongding, le Nil ou la Seine. Oui, trois fleuves ou plus exactement une rivière et deux fleuves traversant trois villes, Pékin, Le Caire et Paris, car au fil des pages du livre de Yitong Shen, ce sont trois pays, la Chine, l’Egypte et la France, et surtout trois cultures que l’auteure explore, parfois à ses dépens. Mais la conclusion de son récit, malgré les pleurs et les peines, est d’un optimisme rare car aussi longue soit la nuit que l’on traverse, le jour finit toujours par arriver. Elle conclut d’ailleurs son ouvrage en ces termes : « Je prends mes affaires et je claque la porte. Je suis heureuse comme un oiseau qui retrouve la liberté. Je dis au revoir à cette cage dorée. Il faut vivre. »

Mais n’allons pas trop vite en besogne et commençons par le début. Yitong Shen est traductrice et interprète, maîtrisant plusieurs langues, professeur de chinois et fondatrice et présidente de l’association Les Lumières des Amitiés Franco-Chinoises.
Fille d’une famille qui ne s’entend plus très bien, à l’âge de dix-neuf ans elle quitte sa terre natale et Pékin pour rejoindre Le Caire et poursuivre ses études, puis Paris pour la même raison. Depuis ce premier voyage en 2008, elle consigne ses pensées au cœur secret de son journal intime… Aujourd’hui elle dévoile le secret de ses écrits dans les pages de ce livre que je vous invite à découvrir.

Les voyages forment la jeunesse !

Ce poncif est tout à fait adapté quand on évoque cette tranche de l’histoire de la vie de l’auteure. Et ne dit-on pas également que l’on apprend plus de ses échecs que de ses victoires ? De Pékin au Caire, son aventure avec Mostafa sous l’œil implacable de Dieu n’est pas ce dont elle rêvait. A ce propos elle écrit page 14 de son livre : « Mostafa ne rate aucune occasion à m’expliquer l’Islam. Il prêche plus que d’habitude pendant le ramadan. Le mois sacré est connu comme étant consacré à la purification de soi-même. C’est-à-dire lire encore plus souvent le coran, faire plus régulièrement les prières, être à jeun et se priver de rapports sexuels. Il ne cesse de tenter de me convaincre, de me convertir. » Alors Yitong Shen rentre à Pékin pour fuir une situation intenable en Égypte. Il est vrai qu’il est bien difficile de comprendre ce qui, culturellement ou religieusement, motive l’autre quand on n’a pas soi-même baigné depuis l’enfance dans l’environnement qui l’a modelé. On peut donc alors légitimement se poser la question du libre arbitre de chacun. Ne pas juger, mais toujours essayer de comprendre pour accepter ou refuser en pleine conscience.

Un nouveau départ

Un nouveau départ pour Le Caire où son inscription à l’université était validée, seule option pour elle de pouvoir continuer ses études. Juste le début de nouvelles incompréhensions, de vécus blessants voire humiliants pour elle qui ne porte ni voile, ni robe longue. Elle témoigne en page 28 : « A la maison, mes colocataires sont des Chinoises musulmanes. Elles font leurs études à l’université Al-Azhar, l’une des prestigieuses dans le monde pour apprendre l’Islam. Leurs cours sont séparés entre filles et garçons… Le soir je vois qu’elles travaillent sur le coran et la charia, des doctrines islamistes. Elles m’expliquent que selon la religion les femmes sont séduisantes pour les hommes à cause de leurs cheveux et des formes de leur corps. Afin de se protéger, elles portent des voiles. Elles acceptent de ne dévoiler leur charme qu’à leurs maris. Après les études, elles rêvent de travailler comme des imams femmes ou des professeurs d’écoles musulmanes en Chine. Contrairement à moi, elles sont plus à l’aise en Égypte qu’en Chine parce que la nourriture est halal. Elles peuvent porter le voile comme elles veulent et prier facilement dans des mosquées… Je suis surprise. En Chine, sans religion je n’ai jamais entendu parler autant d’agressions sexuelles. Je croyais que ces horreurs n’existaient que dans les villes. Ma nouvelle vie énerve Mostafa, je ne suis plus du tout sous son contrôle. » Elle poursuit en page 30 : « La vie sans Mostafa signifie des agressions sans cesse. Pour retrouver la tranquillité, à contrecœur je commence à mettre le voile. Je porte des vêtements d’une couleur noire ou sobre. Au lieu des pantalons, je mets des robes longues. »

Un départ vers l’Occident

Yitong Shen nous offre également la vision d’une étudiante étrangère sur les changements politiques avec l’éviction de Moubarak puis celle de Morsi, ou quand l’intime du quotidien se mêle au quotidien d’une société qui balbutie et ne se reconnaît plus, avec son cortège de violence aveugle et d’intolérance. A la page 63, elle confie : « Imprégnée de tristesse, déprimée et désespérée, un lieu me manque, loin de la mort et de la guerre : l’école. Je décide donc de poursuivre mes études en France. » C’est un nouveau départ, mais Yitong Shen laisse traîner derrière elle une promesse en reprenant à son compte une expression égyptienne à l’intention de son amie qui reste sur place : « Qui boit l’eau du Nil reviendra toujours en Égypte. »

La nostalgie a semé ses graines

La nostalgie a semé ses graines dans l’esprit de l’auteure et elle se demande comment vont les choses au Caire. Elle vit à Paris, mais elle a laissé un petit morceau d’elle en Égypte. Elle vit de nombreuses rencontres, soulève le voile de nouvelles cultures en prêtant son écoute attentive de bénévole au sein d’un centre socio culturel et du centre d’action sociale de Paris. L’autre au centre de son attention, toujours l’autre, Yitong Shen est manifestement une femme généreuse. A la page 72, elle explique : « L’objectif de ma présence est d’être à l’écoute de ceux qui ont envie de parler et de discuter pendant le repas. Parmi eux se présentent des Africains, des Algériens, des Marocains, des Français et même des Américains… Chacun a une histoire… Certains d’entre eux viennent avec leurs affaires, car ils n’ont pas de domicile fixe. » Se consacrer aux autres lui permet de vivre pleinement, de se sentir de mieux en mieux en phase avec la réalité quotidienne que la vie lui renvoie. Petit à petit, elle trouve sa place dans cette société occidentale, approchant la foi catholique auprès d’un prêtre hors norme. Mais cette immersion ne peut se faire qu’au prix d’un rechargement de ses batteries auprès des siens à Pékin. Elle y retourne de temps en temps. L’amour familial n’a pas de prix.

Une vie en triangle

Bien sûr, il ne saurait être question de résumer en une si courte chronique une tranche de vie à la découverte de trois cultures si différentes entre Orient et Occident. Une vie en triangle pour un voyage qui fut aussi intérieur, une véritable odyssée semée d’embûches et de pièges.
Pour prétendre connaître un pays, il faut en connaître ses habitants qui l’ont façonné, leurs mœurs et leurs coutumes, leurs espoirs et leurs déceptions. Traverser les paysages ne suffit pas ! Le décor, façonné par l’homme, sans les acteurs ne raconte rien. Pour que la nature se suffise à elle-même, il faut fréquenter les lieux où l’homme ne peut être que de passage, les déserts, les montagnes de haute altitude ou les profondeurs de la forêt vierge. Une ville, avec juste ses bâtiments inanimés, reste muette. Yitong Shen nous aide donc à pénétrer au cœur des trois villes étapes de son périple de plusieurs années. Pékin, Le Caire et Paris livrent quelques secrets sous la plume spontanée et sensible de l’auteure qui nous embarque avec elle dans une sorte de tourbillon de sentiments et de ressentis contradictoires.

L’Odyssée de la petite Chinoise du Caire, de Yitong Shen aux éditions L’Harmattan, est disponible chez tous les bons libraires.

Bonne lecture à tous.