Birmanie : les fantômes du passé
Carlotta Morteo 16 février 2021
Les birmans tiennent tête à l’armée
Depuis le 1er février 2021, des manifestations de grande ampleur ont lieu partout dans le pays. Un soulèvement populaire déclenché par l’arrestation de Aung San Suu Kyi, cheffe du gouvernement et figure historique de l’opposition. Son parti a obtenu plus de 80% des suffrages aux élections législatives de novembre dernier mais est accusé de fraudes par l’armée.
Contre ce coup d’état militaire, les fonctionnaires sont en grève générale et les jeunes en première ligne, épaulés par les anciens qui ont connu 50 ans de dictature.
« Notre génération ne se laissera pas faire ». Dessin réalisé par un collectif de jeunes birmans.
Au micro :
– Aurore CANDIER : historienne, chercheuse associée au CNRS et à l’Institut de Recherche sur l’Asie du Sud-Est. Elle vit à Rangoun depuis 20 ans et a récemment dirigé l’ouvrage collectif « Birmanie 2010-2017: un pays en transition ».
– Sylvie BRIEU : reporter, elle s’est rendue en Birmanie à partir de 2013 pour rencontrer des militants et militantes issus des minorités ethniques, réprimées par l’armée depuis toujours. Elle en a tiré un livre : « Birmanie, les chemins de la liberté. »
– Vincent, grand amateur de l’Asie, qui a visité la Birmanie en 2008, juste après la Révolution de Safran, quand le pays était encore très fermé.
– Avec la généreuse participation de Juliette VERLIN, journaliste en Birmanie, qui nous a partagé des sons d’ambiance qu’elle a enregistré sur place. Suivez l’actualité birmane en vous abonnant à son compte Twitter : @julietteverlin
Un pays sous contrôle
Sous le joug d’une dictature militaire pendant 50 ans, la Birmanie entamait depuis 2015, lentement mais sûrement, une transition démocratique, économique et touristique.
Pays complexe et encore assez méconnu, la Birmanie est une mosaïque culturelle exceptionnelle de 52 millions d’habitants. Il compte une centaine d’ethnies et autant de langues parlées. Réputé pour ses paysages magnifiques, la Birmanie est l’un des pays les plus pauvres d’Asie. Il est pourtant riche en minerais, en pierres et en bois précieux. Mais c’est la junte militaire qui en tire les bénéfices.
Minorités ethniques, hors-jeu démocratique
L’armée a gardé le contrôle de la plupart des entreprises qui exploitent les ressources naturelles et leurs travailleurs. Elles se situent notamment dans le Nord-Est du pays, dans l’état Kashin, où la population kashin (majoritairement catholique) est entrée en lutte armée pour gagner son autonomie.
La Birmanie est contrôlée depuis son indépendance en 1948 par l’ethnie majoritaire Bamar, bouddhiste. Malgré les valeurs religieuses pacifistes de cette religion, les persécutions contre les Rohingyas, la minorité musulmane, ont lieu en toute impunité depuis 2012. Un million d’entre eux ont dû fuir les massacres dans l’état de l’Arakan, à l’Ouest du pays, vers le Bangladesh en 2017. Aung San Suu Kyi – bamar, bouddhiste et contrainte par le pouvoir qu’octroie la Constitution de 2008 à l’armée birmane sur le contrôle des états frontaliers – avait été vivement critiquée par l’ONU et la communauté internationale pour n’avoir rien fait pour éviter le drame des Rohingyas.
Incertitudes pour l’avenir
Aujourd’hui, l’union citoyenne semble prévaloir dans le rang des manifestants. Les dissensions inter-ethniques et inter-religieuses s’effacent face à la menace d’un retour aux années sombres et d’un ennemi commun : l’armée. Les sanctions n’ayant pas fonctionné par le passé, les Occidentaux semblent bien impuissants. Seule la Chine pourrait peut-être influer, mais elle n’a pas l’air pressée de s’exprimer.
Inquiétés par les arrestations nocturnes et l’éventualité d’une répression violente à venir contre les manifestations, jusqu’où les Birmans seront-ils prêts à aller pour que leur pays ne redevienne pas un point noir de la carte du monde?
(Les temples de Bagan, dans la région de Mandalay. Un incontournable des circuits touristiques en Birmanie dont nous parlait Vincent)