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Écrire un livre en rentrant de voyage

Écrit par sur 25 janvier 2021

La fin d’un voyage est comme une petite mort. Plus le voyage a été long, plus la mort est lente, pernicieuse, incrustée, inéluctable. Le sac à dos a été mis à terre pour une durée indéterminée : c’est cruel. Une voix connue est arrivée à l’aéroport ou à la gare avec un large sourire et des bras ouverts. D’abord, il y a les retrouvailles : le fumet du camembert, la douceur boisée du Haut-Médoc, le rire des potes, l’odeur de la lessive familiale, le poil duveteux du chien qui s’allonge sur le dos. Puis, tout à coup, le vide. Evidemment, tout ce qui a été vécu ou vu pendant des semaines ou mois ne se raconte pas en trois dîners. Mais qui aurait envie d’écouter l’intégralité de ces aventures ?

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La fin du voyage, comme un coucher de soleil sur l’Amazone. @Mélissa Pollet-Villard

Ensuite, il y a les retrouvailles avec soi-même. Que faire, de cette itinérance qui collera à la peau jusqu’à la fin de son existence ? Que faire de ces découvertes, de ces rencontres, de ces remises en question, des couleurs, des odeurs, des sons, des douceurs ? Où ranger la cumbia, les asados, le Chirrinchi et les ravins Boliviens ? Où ranger les singes écureuil d’Amazonie et les manchots de Patagonie ? Comment graver dans le marbre ses souvenirs des visages croisés sur la route ? Les photographies sont stockées dans le téléphone ou sur le disque dur. Si elles ne sont pas imprimées, elles disparaitront peu à peu, comme un album qui finit au fond du carton.

Pourquoi écrire un livre?

Face aux difficultés à revoir ou à reparler de ce voyage, pourquoi ne pas l’écrire ? L’écrire pour se rappeler comment il nous a transpercé de part en part. L’écrire pour coucher sur un bout de papier ces émotions qui nous ont étreintes. Alors, c’est parti, il faut écrire des mots à la volée sur une feuille blanche. Raturer, recommencer, écrire encore. Un bar miteux, la couleur d’une mer, la forme d’une bouche, la force d’une parole : décrire, maintenant. Des rythmes de cumbia, du Pisco ou du Malbec qui enivrent, des altitudes qui étourdissent, des moteurs qui ronronnent : vibrer, à présent.

Voilà, c’est parti, tout reprend forme. Les mots s’associent, les phrases se forment, le voyage cherche sa prolongation, sa lente agonie. Il faut exorciser, laisser le stylo transpirer ses mots et se jeter sur la feuille comme une bouteille lancée à la mer. Pourquoi, faire tout ceci ? Par nécessité, pardi ! Écrire, pour soi ? Pour les autres ? Par devoir de mémoire ? Par vanité ? Pour témoigner ?

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Rencontrer un gaucho qui un jour, se retrouvera en couverture d’un livre. @Mélissa Pollet-Villard

La peur de l’échec

Donc, c’est d’accord, il faut écrire. Si l’on se donne confiance, on peut se dire que cette écriture a un but : publier un livre. L’ambition est grande, qui ne l’a pas rêvé dès lors qu’il aime lire ? Comment se lancer ? Il faut coucher sur papier les phrases, lancées à l’aveuglette, nul ne sait ce qu’il adviendra. Relecture : c’est très mauvais. Alors, c’est l’abandon, par réalisme, par manque de courage. C’est l’abandon, par déception de soi-même, par peur de prolonger l’agonie.

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Les mots sont là, couchés sur du papier, sur ce rouleau entamé pendant les mois d’itinérance. Le rouleau sent le sel, la noix de coco, le maté, le Fernet-Cola, le platano et le ceviche. Un journal de bord sans émotion traîné pendant sept mois relate la pluie et le beau temps de chaque jour passé sur la route. Ennuyeux. Tous les mots sont là, avec leurs maux. Des mots qui n’ont pas assez respiré.

Le carnet retombe sous les yeux et devient une évidence

La réalité des mortels rattrape. Un nouveau quotidien s’est mis en route, le corps s’est adapté à retrouver une routine. Il y a un lit unique, une douche rassurante, une garde-robe variée, une langue maternelle. C’est chaque week-end le même comptoir du même bar, le meilleur du quartier. Tout à coup, une question revient : où est ce carnet ? Douleur vive et coup presque mortel au moral : une sortie du coma ? Fausse alerte.

Les semaines et les mois défilent, même les années. L’oubli submerge. Les souvenirs ? Une illusion, ils s’enlisent. Seulement, il y a une bonne nouvelle : le voyage n’est pas mort, finalement. Le voici qui ressurgit, ouragan pas prévu par les météorologues. Pas d’abri possible, il faut se lancer, un jour où le carnet retombe entre les doigts, sans savoir pourquoi. C’est une conversation anodine qui convoque un souvenir incroyable. Il s’agit de n’importe quel souvenir, raconté mille fois et qui, d’un coup, fait déclic. La générosité des amis de Patagonie, par exemple. Ce serait si bien de les revoir. Quels êtres exceptionnels ils sont : parler d’eux, uniquement d’eux.

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Les amis de Patagonie. @Mélissa Pollet-Villard

L’évidence surgit

Enfin, le carnet se dépoussière, les phrases semblent se fluidifier. Les adjectifs dansent par centaines autour de ce stylo transformé en ballerine. Les feuilles sont des scènes où tout s’illumine et s’émerveille, comme si les projecteurs se braquaient sur ce carnet qui s’enrichit. Les anecdotes reviennent sous toutes leurs formes. Elles sortent par la bouche, le nez, les oreilles, le nombril. Tout est de nature à rappeler la douceur, il n’est plus jamais question d’agonie. Cette écriture donne envie d’en savoir encore plus. Donc, il faut en chercher plus. C’est parti pour de la lecture grâce à des ouvrages sur la région. Il faut des explications, toujours plus d’explications et toujours plus de recherches. Quoiqu’il en soit, on ne s’arrête plus d’écrire, ni de lire. Les souvenirs, la réalité, la fiction, l’histoire et les histoires : tout y est.

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Voilà, c’est prêt : des pages entières qui semblent avoir un sens, qui le sait ? Qui veut lire ? Des mains se lèvent puis commentent de leurs voix familières. C’est très bon, forcément, personne ne dira le contraire. L’espoir grandit : que va devenir ce manuscrit, puisque c’est comme cela qu’il faut appeler ce carnet, maintenant ? Il y a bien un cousin éloigné qui écrit dans la famille. « Je suis un mauvais lecteur, il ne faut pas compter sur moi. Il faut savoir écouter les bonnes personnes », assène-t-il en guise de conseil.

La chance de trouver le bon éditeur

Bien entendu, Google est bien utile pour trouver le nom des maisons publiant les récits de voyage. Un éditeur rappelle : serait-ce la bonne personne ? Il rabaisse, avec ses mots tranchants, ses analyses et son expérience. Et cette phrase, lourde de sens : « Pourquoi écrivez-vous ? Pensez au lecteur : qui, pourquoi ? Livre électronique ou livre papier ? Que voulez-vous ? Moi, cela ne m’intéresse pas votre récit, mais d’autres le prendraient peut-être. En fait, je n’en sais rien mais il ne faut jamais baisser les bras. »

Quand les papillons se mettent à parler

Alors, il faut tout relire. Il faut reprendre les phrases, réécrire les chapitres, en supprimer. Sur un coin du carnet, cette phrase encadrée et soulignée : « Pourquoi écrivez-vous ? » Peu à peu, tout prend forme, les idées, le but, les enchaînements. Tout s’épure. Ce n’est pas un chef d’œuvre, loin de là. Mais il y a dans ces pages ce que l’on voulait y mettre : la route, les rencontres, l’âme, l’énergie, les sentiments, les rêves et les angoisses.

Un éditeur rappelle : « J’ai bien envie de partir avec vous, en Patagonie. » Il n’est plus question d’agonie ou de mort mais bien d’éternité : sur du papier.

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Se souvenir pour toujours des contrastes naturels et de l’infini. @Mélissa Pollet-Villard

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